L’exemplarité du parent éducateur
Nombreux sont ces écrits qui abordent la question de l’éducation des enfants et qui nous proposent une panoplie d’outils et de manières de faire, permettant ainsi aux parents de mener à bien leur travail éducatif. Comment « Éduquer sans punir », comment « se faire obéir sans crier », comment « Se faire obéir sans s’énerver », quelles sont « Les 50 phrases à dire ou ne pas dire à son enfant », quelles sont « Les 50 règles de l’autorité tranquille », etc.
Certes, ces outils sont bénéfiques et utiles, dès lors qu’ils apportent une aide aux parents dans leur fonction de pères et de mères. Mais, bien que facilitateurs, ils ne peuvent point se substituer à l’artisan principal de l’éducation, le parent. Il demeure la pierre angulaire de l’action éducative. Car c’est bien lui qui prête son individualité à ces moyens éducatifs dont la fructuosité dépend impérativement de sa maîtrise à lui et de son habilité. Ils sont pour ainsi dire un simple prolongement de ce qu’il est et de ce qu’il fait. Imaginons le plus sophistiqué des rabots dans les mains d’un piètre menuisier ! Cela suffit-il pour polir joliment ? Ou encore, le crayon à dessin le plus bellement taillé entre les doigts d’un dessinateur médiocre ! Cela suffit-il pour réaliser un beau dessin ?
Un enfant se développe essentiellement au regard de ce qu’il obtient de son père, de sa mère et du nichoir éducatif dans lequel il grandit. Une question des plus importantes se pose alors ici : un parent au caractère inégal et au comportement variable, serait-il capable d’éduquer un enfant, de l’élever moralement, mentalement et psychologiquement, de le préparer à affronter avec bravoure les défis de la vie ? Il ne fait nul doute que la question du « Qui éduque l’enfant ?» importe bien plus que la question du « Comment l’éduque-t-on ? » et de « quel moyen use-t-on pour cela ? ».
L’être de l’éducateur et son attitude, aussi bien intérieure qu’extérieure, précèdent, ici, son savoir relatif aux règles de cette science et de cet art, qu’est l’éducation.
S’il est ou s’il s’avère mauvais et irresponsable, son agissement sera alors destructeur pour l’enfant et entravera ainsi son développement. Il ne pourra guère s’élever à la noblesse de cette idée grandiose que recèlent ces appellations de père et de mère. D’ailleurs, me direz-vous, comment la mériterait-il alors qu’il « élève mal ses enfants, les néglige, les abandonne à un milieu malsain, à des médias corrupteurs, à une rue débauchée, à un entourage qui égare ». Aussi, lorsqu’il ignore les règles de l’éducation, il faillira fatalement, à sa fonction de père et de mère responsables et éducateurs, aussi pieux fut-il. Car sa piété : « ne sera qu’un ornement stérile dont l’éventuelle utilité restera limitée ». Il se sera malheureusement contenté de n’être qu’une voie de passage pour sa progéniture.
Eduquer, c’est d’abord témoigner par une attitude et un comportement qui disent et ne renient pas ce que l’éducateur recommande à l’éduqué. C’est avant tout, un exemple qui incarne les paroles et qui est assez rassurant pour que l‘éduqué se dise : « Après tout, moi aussi je pourrai m’y mettre ». C‘est un exemple qui ne fait nulle place à l’expression hypocrite du « fais ce que je te dis, mais ne fais pas ce que je fais » ce à quoi l’éduqué répondrait probablement : « J’entends si fort ce que vous faites pour écouter ce que vous dites ». Dieu dit dans le verset 2 de la sourate Le Rang : « Ô vous qui avez cru ! Pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas ? C’est une grande abomination auprès de Dieu que de dire ce que vous ne faites pas. »
L’exemplarité est un moyen éducatif tout puissant. Elle exige du père éducateur et de la mère éducatrice, qu’ils soient, eux-mêmes éduqués, ou tout au moins, inscrits dans un projet éducatif, qui permet à chacun d’eux de faire un travail sur lui-même. Charité bien ordonnée commence par soi-même, dit l’adage. Et questionnez tout parent expérimenté, il vous affirmera que le boomerang qu’il a lancé, lui est infailliblement revenu en pleine face. Seul Dieu peut par Sa Grâce en adoucir l’accueil.
Aimer, est-ce que ça s’apprend ?
La plupart des gens croient aujourd’hui que l’amour est une question de sensation, de sentiment, d’expérience. On croit qu’aimer, c’est simple, et que ce qui est difficile, c’est avant tout de trouver « la bonne personne ».
On croit qu’aimer, ça ne s’apprend pas. On n’imagine pas que l’amour est un savoir-vivre : connaître le sens de la vie ; connaître la sagesse pour prendre les bonnes décisions dans sa vie ; savoir vivre à deux et en famille plus large, etc.
Or, « (…) l’amour est un art, tout comme vivre est un art ; si nous voulons apprendre comment aimer, nous devons procéder de la même manière que pour apprendre n’importe quel autre art, à savoir la musique, la peinture, la charpenterie, ou l’art de la médecine ou de la mécanique » (1)
Ainsi, en tant que vision de la vie, l’amour implique une vision du bonheur, de la liberté, de la responsabilité, du couple et de la famille ; une vision de ce qui a de la valeur et qui mérite d’être réalisé dans la vie… En tant qu’art de vivre, l’amour est une activité et non pas simplement un sentiment passif ; c’est un « rester dedans » (rester amoureux) et non pas un « tomber dedans » (tomber amoureux) ; c’est l’art de donner et de recevoir, et non pas le souci égoïste de recevoir en permanence.
L’art d’aimer, l’art de se transformer soi-même
L’art d’aimer est aussi un art de se transformer soi-même : « La quête de l’amour nous transforme. Il n’y a aucun chercheur, parmi ceux qui cherchent l’Amour, qui n’ait pas mûri sur le chemin. Au moment où vous commencez à rechercher l’amour, vous commencez à changer en dedans et en dehors. Il est facile d’aimer la perfection. La difficulté consiste à aimer l’humain avec son bon côté et son mauvais côté. On connaît principalement autant que l’on aime. En n’aimant que Dieu, mais pas ses créatures, on ne peut jamais vraiment savoir, ni vraiment aimer » (2).
Ainsi, s’initier à l’amour, c’est se préparer à un long voyage : « L’amour est un Voyage. Tous les voyageurs, qu’ils le veuillent ou non, sont changés. Personne ne peut voyager dans l’amour et rester le même » (3).
Parce qu’aimer, ça s’apprend, nous avons besoin aujourd’hui de désapprendre pour réapprendre à aimer vraiment. En effet, l’homme et la femme de notre temps ont besoin de dépolluer leur imaginaire de l’amour,
du couple et de la famille. Il ne suffit pas de s’aimer, d’avoir des sentiments profonds, de savoir communiquer, de se marier ou de respecter quelques limites…, pour que la flamme de l’amour reste allumée et pour que le couple soit épanoui.
Aimer est une forme de sagesse
En vérité, aimer, vivre en couple et en famille, c’est une forme de sagesse, c’est tout un art de vivre, un savoir-faire, un savoir-être, un savoir vivre ensemble, une somme de compétences : l’art de dire oui/non selon les situations ; l’art de dialoguer ou de faire silence ; l’art de donner, d’offrir, de pardonner ; l’art de recevoir, d’accueillir ; l’art de créer du beau et de la joie autour de soi ; l’art de cultiver le désir et la tendresse ; l’art d’animer son réseau social familial et amical ; l’art d’être homme et l’art d’être femme ; l’art d’être fidèle au beau, au vrai, au bien commun et au juste dans toutes les choses de la vie… Mais où peut-on bien apprendre cet art ?
Chaque personne, homme et femme, jeune et vieille, a besoin de tout un « village », de tout un réseau social familial et amical pour s’initier à cet art d’aimer, de vivre en couple et en famille.
En effet, très tôt et en permanence, chacun doit apprendre à aimer, à s’habituer à prendre soin de son entourage : de son petit frère ou de sa petite sœur, de son cousin ou de sa cousine, mais aussi des animaux, des insectes et des plantes qui l’entourent. Car en s’habituant à prendre soin de toutes ces créatures, on est en train de développer sa capacité à prendre soin de la délicate créature que l’on choisira pour épouse ou pour époux demain.
L’islam une sagesse universelle, une philosophie de vie destinée à tous, un chemin d’initiation à l’art de vivre en couple, en famille et en société. Cette sagesse prend sa source dans le Coran, dans une Parole ouverte à tous, un bien commun que l’on retrouve en tout temps et en tout lieu. Aucune époque, aucune civilisation, aucune communauté n’a le monopole du vrai, du bien et du juste en matière d’amour, de couple et de famille. Personne n’a le monopole et la propriété de la sagesse.
Les hommes et les femmes de valeurs suivent la sagesse où qu’elle se trouve, chez les gens qui leur ressemblent de même que chez ceux qui leur sont étrangers, dans le passé de même que dans le présent. La sagesse est Une car Dieu est Un.
(1) Erich Fromm, The Art of Loving, 1956).
(2) Shams Tabrizi, cité dans Elif Shafak, Soufi, mon amour, 2010
(3) Elif Shafak, idem